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Littérature, philosophie, poésie.
27 décembre 2015

Gustave Flaubert - Correspondance (extrait 2)

Gustave_flaubert" A Louise Colet

Non, je ne méprise pas la gloire. On ne méprise pas ce que l'on ne peut atteindre, plus que celui d'un autre, mon coeur a battu à ce mot-là. J'ai passé autrefois de longues heures à rêver pour moi des triomphes étourdissants, dont les clameurs me faisaient tressaillir comme si déjà je les eusse entendues. Mais je ne sais pourquoi, un beau matin, je me suis réveillé débarrasé de ce désir, et plus entièrement même que s'il eut été comblé. Je me suis reconnu alors plus petit et j'ai mis toute ma raison dans l'observation de ma nature, de son fond, de ses limites surtout. Les poètes que j'admirais ne m'en ont paru que plus grands, éloignés qu'ils étaient davantage de moi, et j'ai joui dans la bonne foi de mon coeur de cette humilité qui eut fait crever un autre de rage. Quand on a quelque valeur, chercher le succès c'est se gâter un plaisir et chercher la gloire c'est peut-être se perdre complètement. Car il y a deux classes de poètes. Les plus grands, les rares, les vrais maîtres résument l'humanité sans se préoccuper ni d'eux-mêmes ni de leurs propres passions, mettant au rebut leur personnalité pour s'absorber dans celles des autres, ils reproduisent l'univers, qui se reflète dans leurs oeuvres, étincelant, varié, multiple, comme un ciel entier qui se mire dans la mer avec toutes ses étoiles es et tout son azur. Il y en a d'autres qui n'ont qu'à crier pour être harmonieux, qu'à pleurer pour attendrir et qu'à s'occuper d'eux-mêmes pour rester éternels. Ils n'auraient peut-être pas pu aller plus loin en faisant autre chose, mais à défaut de l'ampleur, ils ont l'ardeur et la verve, si bien que, s'ils étaient nés avec des tempéraments autres, ils n'auraient peut-être pas eu de génie. Byron était de cette famille, Shakespeare de l'autre. Qu'est-ce qui me dira en effet ce que Shakespeare a aimé, ce qu'il a haï, ce qu'il a senti. Cest un colosse qui épouvante; on a peine à croire que c'est un homme. Eh bien, la gloire, on la veut pure, vraie, solide comme celle de ces demi-dieux; l'on se hausse et l'on se guinde pour arriver à eux, on émonde de son talent les naïvetés capricieuses et les fantaisies instructives pour les faire rentrer dans un type convenu, dans un moule tout fait. Ou bien, d'autres fois, on a la vanité de croire qu'il suffit, comme Montaigne et Byron, de dire ce que l'on pense et ce que l'on sent pour créer de belles choses, ce dernier parti est peut-être le plus sage pour les gens originaux, car on aurait souvent bien plus de qualités si on ne les cherchait pas, et le premier homme venu sachant écrire correctement, ferait un livre superbe en écrivant ses mémoires s'il les écrivait sincèrement, complètement. Donc, pour en revenir à moi, je ne me suis vu ni assez haut pour faire de véritables oeuvres d'art, ni assez excentrique pour pouvoir en emplir de moi seul et n'ayant pas l'habileté pour me procurer le succès, ni le génie pour conquérir la gloire, je me suis condamné à écrire pour moi seul, pour ma propre satisfaction personnelle, comme on fume et comme on monte à cheval. Il est presque sûr que je ne ferai pas imprimer une ligne, et mes neveux (je dis neveux au sens propre, ne voulant pas plus de postérité de la famille que je ne compte sur l'autre) feront probablement des bonnets à trois cornes pour leurs petits enfants avec mes romans fantastiques, et entoureront la chandelle de leur cuisine avec les contes orientaux, drames, mystères, etc., et autres balivernes que j'aligne très sérieusement sur du beau papier blanc. Voilà, ma chère Louise, une fois pour toutes le fond de ma pensée sur ce sujet et sur moi."

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26 décembre 2015

Hubert-Félix Thiéfaine - Médiocratie

Question gun et machicoulis
un GI vaut 2000 hoplites
mais au rayon philosophie
on est resté chez Démocrite
on joue les chasseurs d’arc-en-ciel
meublés chez Starck et compagnie
mais on sort d’un vieux logiciel
made in Néandertal-city…

Médiocratie… médiacrité !
frères humains dans nos quartiers
ça manque un peu d’humanité
Médiocratie… médiacrité !
ça manque un peu de verbe aimer
de respect, de fraternité
Médiocratie… médiacrité !

Dans le grand jeu des anonymes
la fiction s’adoube au virtuel
on s’additionne on tchate on frime
et l’on se soustrait au réel
baisés grave et manipulés
devant nos écrans de facebook
on n’a qu’un pseudo pour rêver
et s’inventer un autre look

Médiocratie… médiacrité !
Frères humains dans nos quartiers
ça manque un peu d’humanité
Médiocratie… médiacrité !
ça manque un peu de verbe aimer
de respect, de fraternité
Médiocratie… médiacrité !
frères humains frangins damnés
sous la plage il y’a des pavés
Médiocratie… médiacrité !
des pavés bien intentionnés
pour un enfer climatisé
Médiocratie… médiacrité !

Devant toutes ces news quo nous soûlent
ces flashs qui nous anesthésient
DJ God a perdu la boule
et mixe à l’envers nos envies
devons-nous croire à un réveil
dans l’au-delà des jours fériés
avec la photo du soleil
brillant sur nos calendriers ?

Médiocratie… médiacrité !
frères humains dans nos quartiers
ça manque un peu d’humanité
Médiocratie… médiacrité !
ça manque un peu de verbe aimer
de respect, de fraternité
Médiocratie… médiacrité !

HFT

26 décembre 2015

Pierre Reverdy - L'homme et le temps

EspaceLe soir

Le monde est creux
A peine une lumière
L'éclat d'une main sur la terre
Et d'un front blanc sous les cheveux
Une porte du ciel s'ouvre

Entre deux troncs d'arbre
Le cavalier perdu regarde l'horizon
Tout ce que le vent pousse
Tout ce qui se détache
Se cache
Et disparaît
Derrière la maison
Alors les gouttes d'eau tombent
Et ce sont des nombres

Qui glissent
Au revers du talus de la mer
Le cadran dévoilé
L'espace sans barrières

L'homme trop près du sol
L'oiseau perdu dans l'air

16 décembre 2015

Rainer Maria Rilke - Lettres à un jeune poète

Rainer_Maria_Rilke

Quand même aucun de ces jeunes poètes ne manquerait d’invoquer en faveur de sa conception les audaces et les exagérations de ces jours, je ne craindrais pourtant pas d’avoir forcé la part de l’être poétique et son installation dans la nature intérieure. Toutes les facilités, si insistantes qu’elles puissent être, n’atteignent pas jusqu’où la gravité se réjouit d’être grave. Qu’est-ce donc qui peut, en définitive, changer la situation de celui qui était de bonne heure appelé à stimuler dans son cœur les sentiments suprêmes que les autres apaisent et contiennent dans les leurs ? Et quelle paix pourrait-on conclure pour celui qui, en dedans, subit l’assaut de son dieu ?

10 décembre 2015

Georges Brassens - Mourir pour des Idées

Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eu
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain
Or, s'il est une chose amère, désolante
En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater
Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté
"Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente"

Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Encor s'il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât
Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez
Et c'est la mort, la mort toujours recommencée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Georges_Brassens

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9 décembre 2015

René Guy Cadou - Sauver les meubles

Au-bord-du-mondeIl est un homme au bord du monde
Qui chancelle
Un pauvre corps sans étincelles
Tout au fond de la vie
Un grand remous à la surface
Et puis des cris
Un doigt crispé qui me fait signe
Dans le courant un cœur qui saigne
Et cependant je n'ose aller
Vers cet homme qui me ressemble
Qui bat des mains
Qui me supplie
De l'achever d'un seul regard
Nous ne pouvons mourir ensemble.

3 décembre 2015

Leo Ferré - L'école de la poésie

 

La poésie contemporaine ne chante plus elle rampe.
Elle a cependant le privilège de la distinction
Elle ne fréquente pas les mots mal famés elle les ignore.
On ne prend les mots qu'avec des gants : à « menstruel » on préfère « périodique »,
Et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux
qu'il ne faut pas sortir du laboratoire et du codex.
Le snobisme scolaire qui consiste, en poésie, à n'employer que certains mots déterminés,
à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques,
me fait penser au prestige du rince-doigts et du baisemain.
Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baisemain qui fait la tendresse.
Ce n'est pas le mot qui fait la poésie mais la poésie qui illustre le mot.
Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir sils ont leur compte de pieds,
ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes.
Le poète d'aujourdhui doit être d'une caste, d'un parti ou du « Tout Paris ».
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé.
La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale
tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche.
L'embrigadement est un signe des temps. De notre temps.
Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes.
Les sociétés littéraires c'est encore la Société.
La pensée mise en commun est une pensée commune.
Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes.
Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes.
Ravel avait dans la tête une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique.
Beethoven était sourd. Il fallut quêter pour enterrer Bela Bartok.
Rutebeuf avait faim. Villon volait pour manger. Tout le monde sen fout.
L'Art n'est pas un bureau d'anthropométrie.
La Lumière ne se fait que sur les tombes.
Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien dépique.
La musique se vend comme le savon à barbe.
Pour que le désespoir même se vende il ne nous reste qu'à en trouver la formule.
Tout est prêt : les capitaux, la publicité, la clientèle.
Qui donc inventera le désespoir ?
Avec nos avions qui dament le pion au soleil.
Avec nos magnétophones qui se souviennent de ces « voix qui se sont tues »,
avec nos âmes en rade au milieu des rues,
nous sommes bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande
à regarder passer les révolutions.
N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la Morale,
c'est que c'est toujours la Morale des Autres.
Les plus beaux chants sont des chants de revendication.
Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations.
A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT !

"Poète, vos papiers !"

Leo-Ferre

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philosophiques, musicales... poétiques.
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