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Littérature, philosophie, poésie.
poesie
21 mars 2014

Friedrich von Schiller - La grandeur du monde

L'aigle

Je veux parcourir avec l’aile des vents tout ce que l’Éternel a tiré du chaos ; jusqu’à ce que j’atteigne aux limites de cette mer immense et que je jette l’ancre là où l’on cesse de respirer, où Dieu a posé les bornes de la création !

Je vois déjà de près les étoiles dans tout l’éclat de leur jeunesse, je les vois poursuivre leur course millénaire à travers le firmament, pour atteindre au but qui leur est assigné ; je m’élance plus haut… Il n’y a plus d’étoiles !

Je me jette courageusement dans l’empire immense du vide, mon vol est rapide comme la lumière… Voici que m’apparaissent de nouveaux nuages, un nouvel univers et des terres et des fleuves…

Tout à coup, dans un chemin solitaire, un pèlerin vient à moi : — « Arrête, voyageur, où vas-tu ? — Je marche aux limites du monde, là où l’on cesse de respirer, où Dieu a posé les bornes de la création ! »

— « Arrête ! tu marcherais en vain : l’infini est devant toi ! — Ô ma pensée, replie donc tes ailes d’aigle ! et toi audacieuse imagination, c’est ici, hélas ! ici qu’il faut jeter l’ancre ! »


Traduit par Gérard de Nerval

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16 mars 2014

Hubert-Félix Thiéfaine - Les dingues et les paumés

Les dingues et les paumés jouent avec leurs manies.
Dans leurs chambres blindées, leurs fleurs sont carnivores
Et quand leurs monstres crient trop près de la sortie,
Ils accouchent des scorpions et pleurent des mandragores
Et leurs aéroports se transforment en bunkers,
À quatre heures du matin derrière un téléphone.
Quand leurs voix qui s'appellent se changent en revolvers
Et s'invitent à calter en se gueulant "come on !"

Les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie
Et se font boire le sang de leurs visions perdues
Et dans leurs yeux-mescal masquant leur nostalgie.
Ils voient se dérouler la fin d'une inconnue.
Ils voient des rois-fantômes sur des flippers en ruine,
Crachant l'amour-folie de leurs nuits-métropoles.
Ils croient voir venir Dieu ils relisent Hölderlin
Et retombent dans leurs bras glacés de baby-doll.

Les dingues et les paumés se traînent chez les Borgia
Suivis d'un vieil écho jouant du rock'n'roll
Puis s'enfoncent comme des rats dans leurs banlieues by night,
Essayant d'accrocher un regard à leur khôl
Et lorsque leurs tumbas jouent à guichet fermé,
Ils tournent dans un cachot avec la gueule en moins
Et sont comme les joueurs courant décapités
Ramasser leurs jetons chez les dealers du coin.

Les dingues et les paumés s'arrachent leur placenta
Et se greffent un pavé à la place du cerveau
Puis s'offrent des mygales au bout d'un bazooka
En se faisant danser jusqu'au dernier mambo.
Ce sont des loups frileux au bras d'une autre mort,
Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal.
Ils ont cru s'enivrer des chants de Maldoror
Et maintenant, ils s'écroulent dans leur ombre animale.

Les dingues et les paumés sacrifient Don Quichotte
Sur l'autel enfumé de leurs fibres nerveuses
Puis ils disent à leur reine en riant du boycott :
"La solitude n'est plus une maladie honteuse.
Reprends tes walkyries pour tes valseurs maso.
Mon cheval écorché m'appelle au fond d'un bar
Et cet ange qui me gueule : "viens chez moi, mon salaud"
M'invite à faire danser l'aiguille de mon radar."

HFT

26 février 2014

René Char - La postérité du soleil (Préface)

Entre la mort et la beauté

De moment en moment

"Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre ? Où mène-t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derrière l'horizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus jusqu'ici car là où nous étions ce n'était plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux Transparents. Une fois de plus il a fallu partir... Et ce chemin, qui ressemblait à un long squelette, nous a conduits à un pays qui n'avait que son souffle pour escalader l'avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beauté."

14 février 2014

Julio Cortázar - Cronopes et Fameux (extrait)

Écrasement des gouttes -

Cortazar

"Je ne sais pas, regarde, c'est terrible comme il pleut. Il pleut tout le temps, dehors épais et gris, ici contre le balcon avec de grosses gouttes dures et figées qui s'écrasent comme des gifles l'une après l'autre, quel ennui. Voici une petite goutte qui naît en haut du cadre de la fenêtre, elle tremble contre le ciel qui la brise en mille reflets assourdis, elle gonfle et vacille, elle va tomber, elle ne tombe pas, pas encore. Elle s'accroche de toutes ses griffes, elle ne veut pas tomber et on la voit qui s'agrippe avec ses dents tandis que son ventre enfle, c'est à présent une énorme goutte qui pend majestueuse et soudain youp! la voilà partie plaf ! plus rien, écrasée, une tache humide sur le marbre.

Mais il y en a qui se suicident et qui se rendent tout de suite, elles naissent du cadre et se jettent aussitôt dans le vide, il me semble voir la vibration du saut, leurs petits pieds qui se décollent et le cri qui les grise dans ce néant de la chute et de l'écrasement. Tristes gouttes, rondes gouttes innocentes.
Adieu, gouttes. Adieu."

 

Editions Gallimard
rééd. Folio, 2010

 

4 février 2014

Victor Hugo - Les contemplations (préface)

Victor_Hugo

Si un auteur pouvait avoir quelque droit d’influer sur la disposition d’esprit des lecteurs qui ouvrent son livre, l’auteur des Contemplations se bornerait à dire ceci : Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d’un mort.

Vingt-cinq années sont dans ces deux volumes. Grande mortalis ævi spatium. L’auteur a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui. La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et les souffrances, l’a déposé dans son cœur. Ceux qui s’y pencheront retrouveront leur propre image dans cette eau profonde et triste, qui s’est lentement amassée là, au fond d’une âme.

Qu’est-ce que les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait appeler, si le mot n’avait quelque prétention, les Mémoires d’une âme.

Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir, et qui s’arrête éperdu « au bord de l’infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l’abîme.

Une destinée est écrite là jour à jour.

Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi !

Ce livre contient, nous le répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur. Homo sum. Traverser le tumulte, la rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le silence ; se reposer dans le sacrifice, et, là, contempler Dieu ; commencer à Foule et finir à Solitude, n’est-ce pas, les proportions individuelles réservées, l’histoire de tous ?

On ne s’étonnera donc pas de voir, nuance à nuance, ces deux volumes s’assombrir pour arriver, cependant, à l’azur d’une vie meilleure. La joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s’effeuille page à page dans le tome premier, qui est l’espérance, et disparaît dans le tome second, qui est le deuil. Quel deuil ? Le vrai, l’unique : la mort ; la perte des êtres chers.

Nous venons de le dire, c’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes : AutrefoisAujourd’hui. Un abîme les sépare, le tombeau.

V. H.
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1 février 2014

Jorge Luis Borges - L'arbres des amis (extrait)

Jorge_Luis_Borges

"Il existe des personnes qui nous rendent heureux dans la vie, par le simple hasard de les avoir rencontrées sur notre chemin. Quelques-unes parcourent le chemin en entier à nos côtés, et voient passer beaucoup de lunes, mais il en est d’autres que nous voyons à peine, d’un pas à l’autre. Toutes, nous les appelons amies, et il en est plusieurs sortes.

Chaque feuille d’un arbre pourrait caractériser un de nos amis. Les premiers à éclore du bourgeon sont notre papa et notre maman qui nous enseignent ce qu’est la vie. Ensuite, viennent les amis frères, avec lesquels nous partageons notre espace pour qu’ils puissent fleurir comme nous.

Nous en arrivons à connaître toute la famille des feuilles, nous la respectons et lui souhaitons du bien.

Mais le destin nous présente d’autres amis, ceux dont nous ne savions pas qu’ils allaient croiser notre chemin. Parmi ceux-là, il y en a beaucoup que nous appelons amis de l’âme, du cœur. Ils sont sincères et vrais. Ils savent lorsque nous n’allons pas bien, ils savent ce qui nous rend heureux.

Parfois un de ces amis de l’âme étincelle en notre cœur, nous l’appelons alors ami amoureux. Il met du brillant dans nos yeux, de la musique sur nos lèvres, fait danser nos pieds et chatouiller notre estomac.

Il existe aussi des amis d’un temps, peut-être de vacances, de quelques jours ou de quelques heures. Pendant ce temps où nous sommes à leurs côtés, ils s’habituent à mettre de nombreux sourires sur nos visages.

Parlant de près, nous ne pouvons oublier les amis lointains, ceux qui se trouvent au bout des branches et qui, lorsque souffle le vent, apparaissent d’une feuille à l’autre.

Passe le temps, s’en va l’été, l’automne s’approche et nous perdons quelques unes de nos feuilles, certaines naîtront lors d’un autre été et d’autres restent pendant plusieurs saisons.

Mais ce qui nous réjouit le plus, c’est de nous rendre compte que celles qui tombèrent continuent d’être proches, en alimentant notre racine de joie. Ce sont les souvenirs de ces moments merveilleux lorsque nous les avons rencontrés.

Je te souhaite, feuille de mon arbre, paix, amour, santé, chance et prospérité. Aujourd’hui et toujours… tout simplement parce que chaque personne qui passe dans notre vie est unique. Elle laisse toujours un peu d’elle-même et emporte un peu de nous. Il y a celles qui auront emporté beaucoup, mais il n’y en a pas qui n’auront rien laissé.

C’est la plus grande responsabilité de notre vie et la preuve évidente que deux esprits ne se rencontrent pas par hasard."

1 février 2014

Arthur Rimbaud - Lettre du voyant (extrait)

Le poète

"La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !"

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